Dès la Monarchie de Juillet, avec des artistes de premier plan comme Philipon et Daumier, la caricature s’impose dans la petite presse, avec des journaux spécialisés comme La Caricature ou Le Charivari. Malgré les lois répressives de 1835, les bataillons volants des caricaturistes s’en prennent, parfois très violemment, au roi-poire et à son gouvernement, mais aussi aux vices et aux violences larvées des notables au pouvoir.
Aussi la législation sur la presse adoptée par le Second Empire surveille-t-elle de très près ce mode d’expression dangereux parce que direct et immédiat. Ce qui n’empêche pas le dessinateur, peintre et caricaturiste André Gill de conquérir une grande notoriété dans l’art du dessin comique, et de lancer en 1865 l’hebdomadaire satirique La Lune (qui devient L’Éclipse à partir de 1868). Ami proche de Jules Vallès, Gill collabora à son journal La Rue, et réalise plusieurs caricatures de son camarade, dont certaines (notamment la parodie du Convoi du pauvre, avec Vallès en chien) restèrent célèbres.
« La directrice prend nos papiers et voit nos noms.
Tableau ! Elle me dévisage.
“Vous êtes…. (elle s’y reprend à deux fois) vous êtes M. … Jules Vallès !”
J’ai envie de dire non ; ma laideur va nuire à ma gloire ! J’hésite, je balbutie.
“Oh ! je vous reconnais, monsieur. Je vous ai vu dans La Lune, vous étiez derrière un corbillard et vous traîniez une casserole.
– Oui, une casserole….”
Grousset se remet à rire, moi aussi. »
Jules Vallès, « Notes de voyage. Trois heures en ballon », La Situation, 24 août 1867.
« Eût-elle seulement fait rire, la caricature aurait droit à notre reconnaissance ! Notre génération a traversé des heures douloureuses, passé par des chemins sanglants. Il a été bon que des éclats de rire partissent à travers ce bruit de batailles, et qu’un peu de gaieté couvrît les tristesses, vengeât les défaites.
J’entends dire, hélas ! que la caricature se meurt et qu’elle est morte ; les censeurs la surveillent ! […]
Nous ne vous demandons que le droit de rire un peu ! c’est la consolation des pauvres et toute la vengeance des vaincus. Le droit de rire, s’il vous plaît ! de rire de l’un, de l’autre ; de celui-ci, de celui-là ; de vous, de moi !
Nous tirerons sur tout le monde. »
Jules Vallès, Le Figaro, 23 novembre 1865.